Dieudonné LANKOANDE est le coordinateur national du réseau de la société civile pour la Nutrition au Burkina Faso (RESONUT). Engagé dans la lutte pour la promotion de la nutrition, avec ses pairs il déroule des actions au profit des communautés sur le terrain. C’est à ce titre qu’il se réjouit de l’engagement pris par le Burkina Faso lors du sommet mondial de la nutrition pour la croissance N4G. Dans cette interview réalisée le mardi 20 mai 2025, Dieudonné LANKOANDE revient sur les actions entreprises par les acteurs de la société civile pour lutter contre la malnutrition au pays des Hommes intègres.
Le Quotidien : Qu’est-ce que le RESONUT ?
Dieudonné LANKOANDE: Le RESONUT est une faitière des organisations nationales et internationales qui œuvrent pour le renforcement de la nutrition au Burkina Faso. C’est environ 47 organisations actuellement. Avec les adhésions et les départs actuellement, nous sommes à 47 organisations et à l’intérieur on peut trouver 14 organisations internationales. A l’intérieur des organisations nationales on trouve aussi d’autres faitières comme le SPONG, la Ligue des Consommateurs, etc. Le RESONUT, c’est cette organisation qui est affiliée au vaste mouvement mondial qui est appelé le mouvement SUN (Scaling Up Nutrition: Mouvement pour le renforcement de la nutrition). Ce mouvement SUN est une initiative mondiale conjointe de 65 pays qui se donnent pour mission l’éradication de la malnutrition sous toutes ses formes d’ici à 2030.
Quelles sont les missions du RESONUT ?
Le RESONUT fait dans le renforcement de la nutrition. De ce fait, au niveau du RESONUT, ce que nous faisons le plus, c’est le plaidoyer à l’endroit des décideurs politiques. Surtout de sorte à ce que nous puissions influencer considérablement les différentes politiques, les différents programmes qui sont mis en œuvre à l’endroit du grand public. C’est essentiellement des actions de plaidoyer de très grandes envergures. Quelquefois aussi, le réseau se met ensemble avec d’autres réseaux pour influencer des politiques sous régionales. Le RESONUT se met toujours avec les autres pour influencer des politiques depuis le niveau mondial, en se disant que ce sont donc ces politiques au niveau mondial qui s’appliquent au niveau région et qui vont s’appliquer au niveau pays.
A quoi renvoi la notion de Nutrition et la notion de malnutrition ?
La malnutrition, c’est l’opposé de la bonne nutrition. C’est une inadéquation entre les apports alimentaires que nous avons pour notre organisme et les besoins en micronutriments, en nutriments dont notre organisme a besoin. Si ce que nous consommons ne parvient pas à apporter convenablement ce dont notre organisme a besoin, alors nous allons nous retrouver dans un état de déséquilibre nutritionnel, et donc nous serons frappés d’une malnutrition. On en trouve de plusieurs sortes. Il y a ce que les techniciens qualifient de malnutrition aiguë. Il y a ce qu’ils qualifient de malnutrition chronique. On a aussi, à quelque part, ce qu’ils qualifient de carence en micronutriments. Pour ce qui concerne la malnutrition aiguë, c’est généralement ce qu’ils appellent les pertes de poids. Donc, subitement un enfant qui se retrouve à perdre complètement du poids, il devient très chétif (dû certainement à d’autres causes notamment la diarrhée, la maladie, ou d’autres facteurs), peut perdre la vie. Pour ce qui est de la malnutrition chronique, ils appellent cela encore retard de croissance. Là, c’est une malnutrition qui peut affecter l’enfant très tôt. C’est un mal qu’il traînera durant pratiquement toute sa vie. C’est pourquoi justement, il y a ce grand combat pour faire en sorte que la femme, depuis sa grossesse jusqu’à ce que l’enfant ait ses mille premiers jours, y compris la grossesse, bien sûr, puisse être bien nourrie, que l’enfant, dès qu’il nait aussi puisse être bien nourri. Parce que dès que la malnutrition chronique s’installe, ça devient à ce moment irréversible avec des conséquences très fâcheuses.
Est-ce que la malnutrition concerne uniquement les enfants ?
Pas du tout. La malnutrition comme je l’ai dit, est une inadéquation entre les apports alimentaires et le besoin de l’organisme. De ce fait-là, il n’y a pas seulement que l’enfant qui peut se retrouver dans cette situation. Même les personnes adultes peuvent également se retrouver dans une situation de malnutrition. Voyez-vous, je disais qu’on peut se situer dans des malnutritions chroniques, dans des malnutritions aiguës et ou dans des carences à micronutriments. C’est ce qu’on appelle la malnutrition par défaut. Mais de l’autre côté, il y a aussi une malnutrition causée par l’excès, où on se retrouve avec un surpoids, on se retrouve à la fin avec une obésité. C’est une autre forme de malnutrition. Et cela s’observe aussi bien chez les enfants que chez les personnes avancées en âge.
En tant qu’acteurs de la société civile, quelles sont les actions entreprises ou vos contributions pour lutter contre ce fléau-là ?
Les acteurs de la société civile sont pleinement engagés dans la lutte contre la malnutrition. J’aime dire que nous sommes engagés pour renforcer la nutrition. J’aime positiver parce que pour moi, c’est ce qui fait voir, c’est ce qui fait inspirer. Les actions que nous posons dans ce sens sont assez nombreuses. Parce que, voyez-vous, la société civile ce sont ces différentes organisations réunies en associations, en ONG et en mouvements. Leurs contributions dans l’amélioration de la situation nutritionnelle sont diverses sur le terrain directement au profit des communautés. A travers des projets qu’ils montent, ils sont dans la communauté. Quelquefois, ils apportent des appuis pour la sécurité alimentaire. Ils apportent des appuis pour l’eau, l’hygiène et l’assainissement. Ils apportent aussi des appuis pour faire en amont des dépistages. Mais après, s’ils constatent aussi qu’il y a des enfants qui tombent dans la malnutrition, ils peuvent aussi apporter de l’appui à l’Etat pour pouvoir prendre en charge ces enfants malnutris. J’ai évoqué ces autres aspects pour que nous puissions voir que la question de la malnutrition est une question multisectorielle. Elle n’appartient pas à un seul domaine. Un seul secteur ne pourra venir à bout de cette question si on n’est pas ensemble avec les autres acteurs. Donc la première action c’est de mettre en œuvre des interventions directes sur le terrain pour soit prévenir ou alors prendre en charge. L’autre action également que la société civile mène pour aider à améliorer les questions de nutrition, c’est de travailler dans l’amélioration de la gouvernance. Pour ce qui concerne la gouvernance de la nutrition, la société civile est bien engagée et figure parmi la plateforme nationale multisectorielle pour les questions de la nutrition, où la société civile a également son mot à dire. Parce que la nutrition n’est pas seulement le simple fait des techniciens. Les personnes pour lesquelles les actions sont menées doivent également avoir leur mot à dire. Et donc, la société civile intervient par rapport à la coordination dans la gouvernance de la nutrition. De ce point de vue, la société civile fait des plaidoyers de sorte à ce que dans nos différentes politiques et même dans notre Constitution, qu’on puisse ressortir certains éléments qui vont garantir que les populations par après vont mieux se porter et auront une nutrition saine. J’en veux pour preuves la lutte de la société civile avec l’ensemble des autres acteurs pour que l’on parvienne à une politique multisectorielle de nutrition au Burkina. Désormais, la politique est multisectorielle. Aussi, l’accompagnement, sinon la participation de la société civile avec l’ensemble des autres acteurs pour que l’on parvienne aussi au niveau du pays à relever le niveau de l’ancrage de la nutrition à un niveau supra ministériel. Désormais, on a un décret qui rattache la nutrition à la présidence du Faso. Ce sont autant d’actions de plaidoyers sur lesquelles la société civile est engagée. Et quand elle s’engage, c’est pour justement aider à améliorer la nutrition pour les communautés.
Au sommet mondial de la nutrition pour la croissance N4G le Burkina Faso a pris des engagements. Quels sont ces engagements ? Quelles sont les implications concrètes de ces engagements ?
A l’instar des autres pays du monde, surtout ceux qui sont affiliés au mouvement SUN, il y a des engagements qui se prennent au niveau des pays en faveur de la nutrition. Ces engagements se prennent à l’occasion des sommets qu’on appelle les sommets Nutrition for Growth ou encore Nutrition pour la croissance. Le dernier sommet a eu lieu les 26, 27 et 28 mars 2025, à Paris, à l’occasion des Jeux Olympiques. A l’instar des autres pays, au Burkina il y a eu un travail qui a été fait pour que nous puissions aussi pouvoir présenter des engagements au niveau du pays, dans le cadre de ce sommet mondial. Et ces engagements d’impact de 4 ordres courent de 2025 à 2028. Ces engagements d’impact visent essentiellement à réduire considérablement la malnutrition, la malnutrition chronique. Mais aussi, ces engagements d’impact visent à accroître le taux d’allaitement exclusif maternel. En plus des engagements d’impact, il y a des engagements programmatiques. Au nombre des engagements programmatiques, on peut retenir essentiellement des engagements qui visent à améliorer la couverture même des interventions en matière de nutrition au niveau du pays. C’est le renforcement véritable de cette couverture nationale. A travers les différentes approches qui sont mises en œuvre, comment est-ce qu’on parvient à toucher l’ensemble des zones. Il y a aussi des engagements financiers. Pour le Burkina Faso, ça a été essentiellement de travailler à améliorer la contribution financière du pays à hauteur de 5% de son budget à l’horizon 2025. Il est bon de rappeler qu’à ce jour, nous sommes à 2,02% de la contribution du pays pour la question de nutrition. Et l’engagement qui est pris, c’est d’atteindre la barre de 5% à l’horizon 2028. L’autre engagement financier concerne les partenaires techniques et financiers. Comme je le disais, la société civile met en œuvre des actions, mais la plupart de ces actions sont financées par des partenaires techniques et financiers. Et donc, les partenaires techniques et financiers également devraient se mobiliser pour que l’on puisse avoir suffisamment de moyens financiers pour pouvoir réduire les questions de malnutrition et atteindre des engagements d’impact. A ce niveau là, les partenaires techniques et financiers se sont engagés, bien sûr avec l’intervention de l’Etat qui doit les mobiliser, à contribuer à hauteur de 100 milliards 51 millions par an sur les quatre années, pour que nous puissions améliorer les indicateurs en matière de nutrition. Et enfin, les engagements politiques. Il s’agit essentiellement d’améliorer la coordination multisectorielle. Je disais tantôt qu’on a un décret qui relève le niveau de l’ancrage, mais il faut dire que ce décret prévoyait aussi de mettre en place des organes. Quand on relève, il faut rendre fonctionnel, il faut rendre opérationnel. Et donc, il faut arriver à nommer un secrétaire permanent au niveau de la présence du Faso qui va s’occuper des questions politiques en lien avec la nutrition. Au niveau également des régions, c’est de faire en sorte que l’on puisse mettre en place des organes pour s’occuper de la coordination de la nutrition de manière opérationnelle.
Concrètement comment ces engagements peuvent-ils aider le Burkina à lutter contre la malnutrition?
Oui, ces engagements aideront à notre sens le pays à lutter pour les questions de nutrition. Dans quelle mesure cela va-t-il se faire? Déjà, le fait même qu’au niveau pays on se soit engagé au niveau mondial à atteindre un certain niveau, il est clair qu’on a déjà une attention retournée. Pour arriver à réduire la malnutrition, il faut forcément des interventions. Et pour intervenir, il faut des moyens, tant humains, matériels que financiers. Qui va apporter ces moyens? Il y a l’Etat, il y a les collectivités locales, il y a la société civile que nous sommes, il y a les partenaires techniques et financiers. Et les engagements qui ont été pris ont été faits par ces mêmes acteurs. Quand je m’engage à faire quelque chose, et alors, au bout du compte, si je souhaite avoir un bon bilan, c’est d’essayer d’aller vers les engagements que j’ai pris. De manière concrète, ces engagements aideront à réduire les questions de malnutrition, parce que ça sera aussi une question de dignité pour ces personnes-là qui se sont engagées. Quand on s’engage et qu’on arrive à accomplir l’engagement, c’est qu’on est digne de foi. Et je sais que les Burkinabè, vous le savez aussi bien que moi, sont des gens de parole. Pour peu qu’il y ait aussi des gens derrière qui continuent de rappeler. C’est cela aussi le rôle de la société civile. Celui d’aller mobiliser des gens avec des PTF, mais c’est aussi de rappeler à l’Etat qu’il s’est engagé à ceci, qu’il s’est engagé à cela.
En tant qu’acteur de la société civile engagé, est-ce que vous pensez qu’on peut y arriver?
Pour moi oui, nous pouvons y arriver. Et si vous voyez que nous nous sommes engagés, c’est parce que justement, nous nous sommes dit que c’est possible. Nous sommes conscients du contexte, nous sommes aussi conscients qu’il faut être en bonne santé, il faut être fort pour pouvoir non seulement rétablir ce contexte, comme nous le voulons, comme nous le souhaitons, mais aussi faire en sorte que les générations futures ne viennent pas souffrir. J’ai parlé de malnutrition chronique. Quand on est une population qui est beaucoup atteinte de cette malnutrition-là, c’est une génération qui grandit sans capacité de production. Intellectuellement et physiquement il est difficile de produire. L’individu touché est tout le temps à l’hôpital et ça fera beaucoup de pertes pour le pays. Globalement, nous avons très bon espoir que ces engagements pris pourront être suivis. Quand on fait aussi le parallèle avec les anciens engagements qui avaient été pris à Tokyo 2021, après l’évaluation, on a constaté des efforts qui ont été faits. Pourquoi pas donc que ces engagements qui viennent d’être pris, qu’on ne puisse pas les suivre, qu’on ne puisse pas les mettre en œuvre. Et donc, moi, je reste confiant.
Un appel à l’endroit des acteurs impliqués dans ce combat ?
La situation de la malnutrition dans notre pays n’est pas reluisante. Les dernières évaluations de 2024 pour la malnutrition aiguë sortent les chiffres de 9,9 %. Les recommandations de l’OMS indiquent que cette valeur-là, pour qu’elle soit bonne, on devrait être à en dessous de 5 %. Je rappelle que c’est un type de malnutrition qui, facilement, peut emporter la victime. Pour ce qui concerne la malnutrition chronique, les dernières évaluations indiquent un taux de 19 % pour notre pays. Cette valeur aussi reste quand même élevée. La cible de notre politique nationale, c’était de ramener le taux à 20 % en 2024. Je crois que c’est atteint, mais c’est parce que, en fait, le chiffre était beaucoup plus élevé. Sinon, pour l’OMS, la valeur normale acceptable se situe en dessous de 15 %. Le travail engagé par rapport aux engagements pris lors du N4G, c’est de ramener cette malnutrition chronique-là à au moins 18 %. Le souhait, c’est d’aller beaucoup plus bas, mais quand on arrivera à 18 %, ça sera aussi un effort qui est à saluer. Ainsi, j’appelle tous les acteurs à se mobiliser, à se remobiliser pour que ces engagements qui ont été pris ne soient pas juste des phrases que nous sommes allés introduire dans un système. Nous devons prendre à cœur ces engagements. Tous ces sectoriels qui se sont réunis, qui ont étudié le contour de la question, qui ont pensé que nous pouvons y arriver, doivent se mettre à la tâche. Au niveau du gouvernement, ce que nous voulons, c’est l’accompagnement, c’est l’engagement. Ce que nous voulons, c’est la contribution à la hauteur de l’engagement. Les parlementaires sont également sollicités à aider, à vérifier avec nous, si ces engagements pris par l’Etat sont en train d’être opérés pour nous permettre d’y arriver. Au niveau des partenaires techniques et financiers, l’engagement c’est de mobiliser plus de 400 milliards au bout du compte. C’est de voir à ce que cela puisse se faire. Pour la société civile, les ONG, les associations que nous sommes, c’est de toujours contribuer à la mise en œuvre des interventions sur le terrain. Ne jamais se fatiguer. Parce qu’en voulant se reposer une seconde à la maison, c’est un enfant qui meurt de l’autre côté. Il faut penser à sauver ces enfants. Mais c’est aussi de continuer à prélever des financements auprès des donateurs, pour que, continuellement, nous puissions accéder à l’ensemble du territoire. Nous savons que pour accéder à certains milieux de nos jours, il faut une société civile organisée. On peut toujours mettre en œuvre des interventions de malnutrition partout dans ce Burkina Faso. Pour cela, il faut que la société civile s’engage véritablement. Bien sûr, il faut que les médias fassent véritablement de cette question une priorité dans leur communication. Que le gouvernement puisse se sentir suivi. Que la société civile, qui est elle-même allée s’engager, puisse se sentir suivie par les médias. Que les médias interpellent les partenaires techniques et financiers.
Interview réalisée par Hamidou DICKO