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CE MAL QUI SEVIT RIGOUREUSEMENT A OUAGA

La malnutrition vue sous l’angle de la dénutrition ou de la sous-nutrition ne sévit pas seulement que dans les campagnes et dans les provinces. Le mal a aussi investi la ville. Pour avoir un aperçu de la situation, nous nous sommes rendus au Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN) de l’hôpital Saint Camille de Ouagadougou (HOSCO), le 6 décembre 2018. Afin de respecter la volonté de la responsable du service pédiatrique de l’hôpital, les photos ont été prises de sorte à ne pas révéler le visage des patients ni celui de leurs parents.Â

Il est 8h lorsque nous franchissons, avec bien d’autres personnes, le portail de l’hôpital Saint Camille de Ouagadougou (HOSCO). Notre destination,  le  Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN). Nous mettons environ une dizaine de minutes pour parcourir à pied la distance qui sépare l’entrée principale et le CREN. Le CREN de l’HOSCO fait partie de l’un des rares centres existant à Ouagadougou et oeuvrant dans la prise en charge des enfants souffrant de malnutrition. Du lundi au vendredi, le CREN reçoit un groupe d’enfants en situation de sous-nutrition. Donc, pas un jour ouvrable ne passe sans que le centre ne grouille d’enfants. C’est au moins une quinzaine d’enfants  qui y sont reçus par jour. Et le jeudi 6 décembre 2018, le CREN est censé recevoir un groupe d’enfants malnutris en phase de récupération.  Mais à notre arrivée sur les lieux,  aux environs de 9h, les mamans et leurs bébés n’étaient  pas encore arrivés. « Les mamans devaient être là depuis 6h mais comme il fait frais, c’est certainement pour cela qu’elles sont en retard », nous  renseigne une monitrice du CREN.

Effectivement, aux environs de 9h, les mères et les petits patients, chaudement habillés, commencent à arriver une à une avec leur ballot pour la journée. Avant que les petits patients ne viennent sous le hall pour la prise en charge, ils doivent passer par l’étape de la pesée hebdomadaire. Une étape redoutée par les mamans des enfants en état de malnutrition. Au CREN de l’HOSCO, c’est le tout pour le tout pour plus de kilos. « Quand on me dit que mon enfant a ajouté des kilogrammes, je suis contente mais si c’est le contraire, c’est un peu décourageant », nous confie Korotimi Tapsoba, commerçante de légumes.  Elle est  la mère de la petite Amanda Bitibali, âgée de 12 mois avec

Korotimi Tapsoba : « L’enfant faisait la diarrhée et ne mangeait pas » (Ph. FD)

6,660 kilogrammes et admise au CREN à l’âge de 8 mois pour 6 kilogrammes. Depuis ce temps, l’emploi du temps de dame Tapsoba est le même tous les jeudis. « A 5h du matin, je suis au marché de la Cité An II. A 8h, je laisse mes marchandises avec ma mère et je viens au CREN de Saint Camille pour m’occuper de mon enfant ». Au moment des échanges avec la maman, Amanda a du mal à rester sur place.  Le CREN semble être un endroit familier pour elle. Alors, elle est à l’aise et prend du plaisir à marcher et à aller là où ses petits pas hésitants la conduisent. Une attitude qui plaît à la maman parce que l’enfant arrive à jouer. Ce qui n’a rien à voir avec son comportement du premier jour au CREN.  La maman d’Amanda se souvient encore des circonstances qui l’ont conduite au CREN de Saint Camille. A l’entendre, cette période a été douloureuse pour sa famille. En effet, l’enfant faisait la diarrhée et elle ne mangeait pas. « On m’a demandé de faire des examens de selles et de sang. C’est après qu’on m’a dit que mon enfant est faible et qu’elle souffre de malnutrition », relate Korotimi Tapsoba qui poursuit : « en tant que maman, j’étais découragée mais les conseils qu’on m’a prodigués pendant la consultation, m’ont redonné du courage ».

Eric Konaté, agent de bureau et père du petit Auguste César, a aussi été éprouvé par l’état de santé de son enfant qui a été admis au CREN à 15 mois avec un poids de 5 kilogrammes, après une phase de maladie. « Quand le médecin nous a dit que notre fils souffrait de malnutrition, sur-le-champ, nous étions choqués », déclare Eric Konaté qui pensait que la situation de malnutrition n’arrivait qu’aux enfants des autres. Il était le seul homme parmi le groupe de femmes à avoir amené son  enfant au CREN de l’hôpital Saint Camille. On imaginerait qu’il a mis son enfant au dos. Non. Il l’a mis dans un porte-bébé qu’il a placé devant lui pour le transporter. Un homme qui transporte son bébé à l’hôpital en consultation et de surcroît seul au milieu de nombreuses femmes, une curiosité qui mérite d’être relevée sous nos cieux. Mais pour Eric Konaté, il n’y a rien d’extraordinaire en cela. « Au début, je venais avec ma femme. Elle était presqu’à terme. Comme elle a accouché, c’est ce qui explique que je viens seul avec l’autre

Eric Konaté pensait que la situation de malnutrition n’arrivait qu’aux enfants des autres

jumeau pour le rendez-vous hebdomadaire », explique-t-il. Pour celui qui fréquente le CREN avec son enfant depuis un mois, il trouve que l’état de santé de l’enfant évolue positivement et qu’il prend du poids. En effet, le 6 décembre dernier, après la pesée hebdomadaire, le petit Auguste César Konaté âgé de 16 mois, pesait 7, 500 kilogrammes. Et le fait de fréquenter le CREN aide beaucoup le bébé de 16 mois à s’en sortir. Son père ne cache pas sa satisfaction. « Avec le chocolat,  (le plumpy nut) qu’on nous donne  gratuitement et les conseils nutritionnels que nous recevons, au CREN, Auguste César commence à récupérer », affirme-t-il d’un air rassuré. Il n’est pas seul à avoir ce sentiment. En effet, Assana Ouédraogo aussi se dit soulagée depuis le 21 juin 2018, date à laquelle elle a commencé à fréquenter le CREN avec son enfant malade âgé de 13 mois qui ne mangeait pas. A la date du 6 décembre, l’enfant de Assana est passé de 7,810 kilogrammes à 9,170 kilogrammes. « En tout cas, ça va beaucoup mieux actuellement grâce aux conseils nutritionnels que je reçois au centre », nous confie-t-elle tout en lançant un message aux mères. « Souvent, nous les mères, quand nous sommes occupées à travailler, nous ne voulons pas donner à manger aux enfants parce que nous  ne voulons pas interrompre ce que nous sommes en train de faire. Ce n’est pas bon. Nous devons cesser de nous comporter ainsi et donner à manger à nos enfants ».

« Je donnais à mon bébé la bouillie de petit mil que les femmes vendent »

 Le CREN de l’hôpital Saint Camille semble redonner vie à ces patients particuliers. Et c’est aussi au CREN qu’on voit l’espoir renaître sur le visage de ces mères souvent bouleversées et ne sachant plus à quel saint se vouer. C’est le cas de Bibata Sawadogo que nous avons rencontrée aux environs de 10h aux urgences pédiatriques. Assise sur le lit, le regard hagard, Bibata tient dans ses bras, sa fille Mouniratou de 8 mois reliée à une machine qui l’aide à respirer. Elle venait de finir de lui donner le bibéron. Selon le diagnostic du médecin, Mouniratou souffre d’une malnutrition aiguë sévère. Lorsque nous pénétrons dans la salle d’hospitalisation, nos yeux de profane ont du mal à supporter ce que nous voyons. Nous sommes envahi par une certaine inquiétude au sujet du bébé Mouniratou. C’est comme si sa maman le pressent. Et elle nous dit :

« On ne pouvait pas venir à l’hôpital les mains vides », nous confie Bibata Sawadogo

« aujourd’hui ça va beaucoup mieux ». Sinon, « le mardi (ndlr 4 décembre), c’était grave ». Nous voulons en savoir plus, mais Bibata Sawadogo, encore sous le choc émotionnel, affirme ne pas savoir ce qu’elle a fait ce jour, ni comment elle est arrivée à l’hôpital Saint Camille. Tout ce qu’elle sait, c’est que « son bébé était faible, vomissait et avait des difficultés pour respirer ». Et c’est ce qui a conduit l’enfant en consultation. « Pourquoi avez-vous attendu que le mal atteigne un niveau grave avant d’amener le bébé à l’hôpital ? » Comme simple réponse, Bibata déclare : « on ne pouvait pas venir à l’hôpital les mains vides ».Déconcerté, nous poursuivons la conversation : « mais depuis l’hospitalisation de l’enfant, combien avez-vous dépensé jusque-là? » Et la maman de la petite patiente de nous faire savoir que pour le moment, ils n’ont pas beaucoup dépensé : « On nous donne gratuitement le lait, le sel de réhydratation et certains médicaments ». Une réponse qui nous laisse songeur mais nous cherchons à connaître ce qui a bien pu mettre Mouniratou dans cet état. C’est ainsi que Bibata Sawadogo se laisse aller tout en donnant aux compte-gouttes du sel de réhydratation à son bébé qui respire difficilement. « Je suis venue de Gaoua pour voir mes parents à Ouagadougou. Je suis tombée malade et je n’avais plus de lait. Alors, je donnais à mon bébé la bouillie de petit mil que les femmes vendent  ». Avec tout cela, dame Bibata dit n’avoir jamais pensé que son enfant pouvait être hospitalisé pour malnutrition. Après l’échange avec la maman de cet enfant en situation de malnutrition sévère, c’est le cœur serré que nous quittons les urgences pédiatriques.

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Françoise DEMBELE

Journaliste / Le Pays