Ce mal qui sévit rigoureusement à Ouaga / ENCADRE 1 : Le cri du cœur de Sœur Madeleine Compaoré du Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN) de Saint Camille
La malnutrition vue sous l’angle de la dénutrition ou de la sous-nutrition ne sévit pas seulement que dans les campagnes et dans les provinces. Le mal a aussi investi la ville. Pour avoir un aperçu de la situation, nous nous sommes rendus au Centre de récupération et d’éducation nutritionnelle (CREN) de l’hôpital Saint Camille de Ouagadougou (HOSCO), le 6 décembre 2018. Afin de respecter la volonté de la responsable du service pédiatrique de l’hôpital, les photos ont été prises de sorte à ne pas révéler le visage des patients ni celui de leurs parents.
« Quand les enfants viennent en consultation, on prend le poids, la taille, le périmètre graduel pour savoir si l’enfant est malnutri ou non. Il y a la malnutrition aiguë sévère (MAS) et la malnutrition aiguë modérée (MAM). Selon les cas, il y a des mesures de lait que l’on doit donner à l’enfant chaque jour. Au CREN, nous recevons les MAM, chaque semaine et les MAS tous les jours ou au moins 3 fois par semaine, sauf le samedi et le dimanche, parce que nous devons les suivre de près. Les enfants ont droit, le matin et le soir, au yaourt. Les mamans, quant à elles, c’est une seule fois. Les enfants et leurs mères restent toute la journée à l’hôpital et repartent vers 15h. C’est l’hôpital qui les prend en charge en leur offrant des vivres, l’argent des condiments parce qu’il faut que les mamans mangent bien. Si elles ne mangent pas bien, il y aura une insuffisance de lait maternel. Et c’est cette insuffisance de lait qui entraîne aussi la malnutrition. Au CREN, on essaie de récupérer l’enfant à travers le lait, le matin à 8h et avant le départ le soir, la bouillie à 10h, à midi la soupe et la bouillie. La bouillie qu’on donne aux enfants, s’appelle « misola ». Elle est fabriquée à Saint Camille, uniquement pour les enfants malnutris. En plus de cela, en fonction du poids de l’enfant, on donne le « plumpy nut » que le district sanitaire nous procure. Et chaque jour ou chaque semaine, on pèse l’enfant pour voir s’il a augmenté de poids ou non.
Quand les femmes arrivent au CREN, elles doivent balayer et nettoyer au savon la cuisine et la salle de repos, puisque les enfants vont y jouer et il y a des choses qui vont tomber et qu’ils vont ramasser et mettre dans la bouche. Comme ce sont des enfants malnutris, ils sont plus exposés aux infections. C’est pourquoi nous éduquons les femmes à la propreté. Après cela, les femmes se divisent en deux groupes. Un groupe va faire le marché et l’autre groupe fait la cuisine. Chaque jour a son menu. Pendant le repas, nous contrôlons comment les femmes donnent à manger aux enfants. Si la maman suit bien nos conseils, en une semaine, l’enfant commence à récupérer. Mais tout dépend de la motivation de la maman. Il y a des femmes qui se donnent vraiment, parce
qu’elles veulent que leur enfant récupère. C’est ainsi qu’à la maison, elles essaient de mettre en pratique les instructions qu’elles ont reçues au CREN. Et quand il y a la collaboration du mari, cela aide beaucoup l’enfant. Notons qu’à la maison, l’enfant doit avoir sa marmite à part. Une marmite dans laquelle on prépare uniquement pour l’enfant, parce qu’il ne peut pas manger ce que toute la famille mange en ce sens qu’il n’y trouvera pas les nutriments dont son organisme a besoin. En plus, l’enfant doit manger à des heures précises. Mais si la femme ne se donne pas assez et que l’homme ne veut pas collaborer, l’enfant peut faire deux mois au CREN sans récupérer. Et certaines femmes, quand leurs enfants récupèrent, ils rechutent par négligence et elles reviennent encore au CREN. Si l’enfant est malnutri sévère, il doit venir tous les jours. Mais beaucoup d’hommes refusent. Ils ne donnent pas l’argent de l’essence à la femme ni l’argent du taxi. Et certaines fois, la situation de ces enfants empire. C’est à ce moment qu’ils accourent à l’hôpital mais il n’y a plus rien à faire. A ce moment, l’enfant souffre d’une malnutrition sévère et est déshydraté, anémié et il faut l’hospitaliser. Il y a des enfants qui s’en sortent comme il y en a qui meurent.
Le CREN de Saint Camille existe depuis plus de cinquante ans. Et des parents viennent des provinces pour faire prendre leurs enfants en charge au CREN de Saint Camille. Au début, on recevait beaucoup d’aides des ONG et des Italiens. Mais actuellement, c’est dur pour nous. On ne sait pas si on pourra tenir longtemps parce que l’Italie ne nous aide plus car, ils (les Italiens) sont en crise, les ONG aussi se sont retirées. L’ONG Terre des hommes qui nous dotait en lait, arrêtera cette dotation en 2019. Nous ne savons plus ce que nous allons faire. Et c’est un grand souci pour nous. Si on n’a pas d’aide dans les mois à venir, on sera obligé de fermer un jour le CREN. Ce qui n’est pas bien parce que les enfants que nous sauvons au CREN, font partie de ceux qui vont développer le Burkina Faso de demain. Nous acceptons les aides de toutes sortes. Même les condiments. Notre objectif, c’est de voir les enfants grandir en bonne santé. »
Propos recueillis par Françoise DEMBELE / Le Pays
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